Chapitre 15

Simon Perron

À la veille de ses quarante ans, Simon Perron, substitut du procureur général à Québec, était un homme consciencieux qui menait une vie rangée. Il avait épousé Annick, son amie d’enfance et ils avaient deux petites filles de dix et neuf ans, qu’il ne voyait malheureusement pas aussi souvent qu’il le désirait en raison de son travail. Toutefois, il se faisait un devoir d’emmener toute la famille en vacances au moins deux fois par année. Son épouse était justement en train de préparer leur prochain périple à Disneyworld durant l’été.

Ce matin-là, Simon avait mis plus de temps à faire sa toilette, car il était obsédé par un appel qu’il avait reçu la veille. Encore une fois, il n’aurait pas le temps de déjeuner avec les filles. Il resserra le nœud de sa cravate, rangea un dossier dans sa mallette en cuir et descendit à la cuisine. Catherine et Elizabeth étaient sagement assises à table et terminaient leur repas.

— Bonjour, papa ! dirent-elles en chœur.

— Bonjour, les filles.

Il les embrassa sur la joue et se tourna vers Annick, qui lui tendait une tasse de café.

— Les conduis-tu à l’école, ce matin ? demanda-t-elle après l’avoir embrassé sur les lèvres.

Simon avala une gorgée de café.

— Pas ce matin.

Catherine et Elizabeth se mirent à protester, mais leur mère mit fin à leurs lamentations d’un seul regard.

— Je suis vraiment désolé, mais j’ai un important rendez-vous en rapport avec le procès de demain.

— Tu fais trop de procès, grommela Catherine.

— C’est mon travail, ma chérie.

Il termina le café et posa la tasse sur le comptoir. Annick le suivit jusqu’à la porte d’entrée.

— Il y a quelque chose que tu ne me dis pas, fit-elle, inquiète.

— Un ancien disciple du jaguar veut me rencontrer. Il sait où se trouve Desjardins, mais il ne veut pas me le dire au téléphone. En réalité, ça n’a rien à voir avec ma plaidoirie de demain, mais je ne voulais pas en parler devant les filles.

— Tu ne trouves pas ça suspect ?

— Tout ce qui concerne la secte de la montagne l’est, mon amour. La police cherche Desjardins depuis plusieurs mois, alors si je peux obtenir des renseignements sur ses déplacements, il est de mon devoir d’aller les chercher.

— Sois prudent, d’accord ?

— Tu me connais mieux que ça.

Ils s’embrassèrent un long moment, puis Annick le laissa partir, incapable de maîtriser l’angoisse qui s’emparait d’elle.

Simon déposa sa mallette sur le siège arrière de sa voiture et s’installa au volant, une fois de plus perdu dans ses pensées. Il se rendit au centre-ville et se gara dans le stationnement de l’hôtel où son informateur lui avait donné rendez-vous. Il sortit de sa poche le bout de papier où il avait noté le numéro de la chambre et entra dans l’établissement. Puisqu’il savait où il allait, il se dirigea tout droit vers l’ascenseur.

Confiant, il marcha dans le corridor où les femmes de chambres avaient commencé leur travail, et contourna leurs chariots. Lorsqu’il arriva au numéro 501, il s’étonna de voir la porte entrouverte. Il frappa quelques coups, par politesse.

— Monsieur Blais ?

Ne recevant aucune réponse, il poussa doucement la porte et jeta un coup d’œil à l’intérieur.

— Dieu du ciel…

Il y avait des gribouillis à l’encre rouge sur tous les murs ! Il allait tourner les talons pour quérir le gérant de l’hôtel, lorsqu’il entendit un gémissement dans la salle de bain. Si son informateur avait été blessé, il devait avant toute chose lui porter secours. Il releva l’interrupteur, mais ne trouva personne dans la petite pièce. Les plaintes provenaient donc de la chambre. Simon s’y aventura, persuadé qu’il trouverait Blais gisant dans son sang.

Le cœur battant la chamade, le procureur se pencha du côté le plus éloigné du lit. Rien. Il se retourna et aperçut, à quelques pas de lui, une bête cauchemardesque ! Plus grande que lui, elle avait la peau grise, un visage simiesque et des ailes de chauve-souris maladroitement repliées sur son dos. Mais ce furent surtout ses longues griffes, ses dents pointues et le fait qu’elle se tenait devant la porte d’entrée qui retinrent l’attention de Simon.

— Les gargouilles ne sont que des statues… murmura-t-il pour se rassurer.

Simon fut alors assailli par un mal de tête si violent qu’il faillit en perdre l’équilibre.

— Monsieur Blais, je comprends que vous vouliez garder votre identité secrète, mais un tel déguisement ne fera qu’attirer l’attention.

La douleur dans son crâne s’intensifia, et il dut s’appuyer sur la commode pour ne pas se retrouver sur le plancher. Persuadé qu’il allait perdre connaissance, Simon s’empara du combiné et signala le zéro. Au lieu de signaler son malaise, il poussa une plainte sourde, car un coup violent dans son crâne venait de l’achever. Il tomba de tout son long sur la moquette. Toutefois, il se ressaisit presque aussitôt et ouvrit les yeux. Il n’était plus dans la chambre 501, mais dans un endroit sombre. Il battit des paupières et découvrit qu’il était attaché.

— Monsieur Blais ? bredouilla-t-il.

— Vous êtes encore plus naïf que l’inspecteur Pelletier.

— Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

Le Faucheur, entièrement vêtu de rouge, sortit de l’ombre.

— Desjardins ?

— Je vous ai promis au téléphone de vous dire où je me trouverais. Alors, me voilà.

— Détachez-moi tout de suite, ou votre sentence sera terrible !

— Vous croyez-vous en position de faire des menaces ? Lorsqu’on trouvera votre corps, personne ne comprendra ce qui vous sera arrivé.

Le Faucheur abattit sa main sur la poitrine de l’avocat, qui hurla de douleur. Mais comme cela avait été le cas quelques heures plus tôt pour Christian Pelletier, Simon Perron se mit à disparaître sous les yeux ahuris de Desjardins.

— Non ! hurla le sorcier.

Furieux, il abattit son poing sur l’autel vide.

 

* * *

 

En proie à une grande souffrance, Simon bascula dans le vide, puis sentit son dos heurter violemment un obstacle. L’obscurité se dissipa et fit place à la lumière éclatante du soleil qui inondait la chambre 501. Deux gardiens de sécurité étaient penchés sur lui.

— Ne le laissez pas s’échapper ! cria Simon en tentant de s’asseoir.

— Qui ça ? s’étonna l’un des hommes. Quand nous sommes arrivés, vous étiez seul ici.

— Desjardins et le monstre…

Les gardiens échangèrent un regard inquiet.

— Êtes-vous capable de vous lever ?

Simon parvint à s’asseoir et laissa échapper une plainte sourde.

— Êtes-vous blessé ?

L’avocat porta une main à sa poitrine, à la hauteur de son cœur, ce qui acheva d’alerter ses sauveteurs. Croyant qu’il avait été victime d’une crise cardiaque, l’un d’eux signala aussitôt à la réception qu’ils avaient besoin d’une ambulance, tandis que l’autre empêchait Simon de bouger. Ce dernier eut beau protester, les gardiens ne bronchèrent pas jusqu’à l’arrivée des secours.

Simon fut attaché sur une civière malgré ses cris de terreur, et transporté aux urgences de l’hôpital le plus proche. Tout comme ceux qui avaient examiné Christian, les médecins n’arrivèrent pas à s’expliquer la marque en forme de main sur son cœur. Après lui avoir fait passer plusieurs examens, ils n’étaient pas plus avancés. Les explications que leur patient s’entêtait à répéter pour justifier son état étaient si invraisemblables qu’ils craignirent davantage pour sa santé mentale que pour l’état de son cœur.

Annick, qu’on avait alertée dès l’arrivée de son époux à l’hôpital, s’y présenta en catastrophe quelques minutes après le transfert de Simon sur une civière dans le couloir.

— Laissez-moi me rhabiller, supplia-t-il.

— Simon ! s’exclama sa femme en se hâtant jusqu’à lui. Que t’est-il arrivé ? Dis-moi qu’on ne t’a pas tiré dessus !

— Non… mais tu ne me croiras pas, toi non plus. Fais-moi sortir d’ici.

Annick tempêta jusqu’à ce qu’on la laisse rencontrer les médecins qui avaient examiné l’avocat. Ceux-ci lui firent aussitôt part de leurs inquiétudes et lui demandèrent de faire voir son mari par un psychiatre dans les plus brefs délais.

Morte d’inquiétude, Annick aida son mari à se vêtir et le ramena à sa voiture en l’intimant de lui raconter tout ce qui s’était passé à partir du moment où il avait quitté la maison. Voyant qu’elle gardait le silence après son récit, Simon se mit à pleurer.

— Tu ne me crois pas…

— Ce que tu me dis n’a aucun sens, mon chéri. Les gargouilles sont des statues qui ne quittent jamais les toits où elles sont sculptées.

— Comment expliques-tu ceci ?

Simon détacha sa chemise et lui montra l’étrange brûlure sur sa peau.

— La seule explication, fit-elle en tentant de se montrer brave, c’est que tu as été victime d’un maniaque. Ton médecin m’a remis des calmants, et lorsque nous serons à la maison, je…

— Je ne suis pas fou ! hurla-t-il, excédé.

Annick se cramponna au volant et serra les dents. Elle ne devait surtout pas l’irriter davantage.

— Tu vas emmener les filles chez ta sœur et tu y resteras jusqu’à ce que nous ayons capturé Desjardins, est-ce clair ? poursuivit son mari sur un ton dur.

— Et toi ?

— Je vais m’entourer de policiers et lui donner la chasse. Appelle ma secrétaire et dis-lui d’annuler tous mes rendez-vous des deux prochaines semaines.

— Simon…

— Fais ce que je te demande, Annick. Je n’ai pas envie d’avoir vos morts sur la conscience.

Il s’assura qu’elle fasse ses valises et celles des enfants, puis écouta les messages téléphoniques sur sa boîte vocale. Il n’y en avait aucun de son soi-disant informateur ou de Desjardins, mais celui de Tatiana l’intéressa aussitôt. En tremblant, il composa son numéro à Saint-Juillet.

— Bonjour, monsieur Perron. J’avais hâte que vous me rappeliez.

— J’aurais dû le faire plus tôt.

— Avez-vous été attaqué ?

— Je ne sais même plus comment qualifier ce qui m’est arrivé tout à l’heure. Tout le monde pense que je suis en train de perdre l’esprit.

— Vous êtes-vous retrouvé sur un autel de sacrifice en présence de Frédéric Desjardins ?

— J’aurais vraiment dû prendre mes messages avant maintenant.

— Je vous en prie, calmez-vous et écoutez-moi.

Tatiana lui tint le même discours qu’à Christian, pour qu’il se méfie lui aussi des pentagrammes.

— Mais si Desjardins est capable de s’en prendre à nous par le biais de son esprit et de nous infliger en plus des blessures mortelles, comment parviendrons-nous à l’arrêter ?

— Seule une autre créature magique y arrivera.

— Alexei…

— Le problème, c’est qu’il n’est pas encore prêt à affronter le Faucheur. S’il se fait tuer, plus rien n’empêchera celui-ci de tous nous tuer.

— Je pense qu’il est temps que nous nous rencontrions tous et que nous parlions de stratégie. Je serai chez vous dans quelques heures, le temps de m’assurer que ma famille est en sûreté.

Simon raccrocha et vit que sa femme l’observait depuis la porte de leur chambre.

— Où t’en vas-tu ? demanda-t-elle, troublée.

— Alexei Kalinovsky est notre seul espoir…

Annick se réfugia dans ses bras en faisant attention à ne pas mettre de pression sur sa brûlure. Simon ferma les yeux et se jura de ne revenir à Québec que lorsque Desjardins aurait été neutralisé une fois pour toutes.

 

Le faucheur
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